Le jeudi 20 novembre 2014, au musée du quai Branly, le Jury de la fondation Chirac décernera le Prix Culture pour la Paix lors de sa 1ère édition.
Le Prix Culture pour la Paix, mis en place par la fondation Chirac et la Fondation Culture & Diversité, distingue des personnalités ou des institutions œuvrant au règlement des conflits par des programmes artistiques ou culturels, contribuant ainsi par leurs actions au dialogue entre les cultures et à l'apaisement des tensions dans certaines zones entre communautés ethniques, religieuses ou politiques.
Le Président du Comité d'experts du Prix Culture pour la Paix Ibrahim Maalouf, nous livre dans un entretien son analyse de la prévention des conflits :
Qu'est ce que la prévention des conflits ?
La prévention des conflits, ce sont toutes ces démarches de grandes, moyennes et petites ampleurs qui visent à garantir une paix durable entre peuples, ethnies, populations diverses, personnes de religions différentes, de niveaux, origines et/ou classes sociales différentes.
Cela va de la lutte contre l'utilisation d'un certain type d'armes qui engendrent des conséquences et dégâts collatéraux inutiles en temps de guerre, ou l'élaboration de différents textes qui régissent nos politiques étrangères ou intérieures, et autres démarches de grande ampleur et visibles directement, jusqu'à un travail plus social d'accompagnement, d'aide et d'éducation qui certainement est une démarche de long terme Je pense notamment à une chose en particulier que je prendrais en exemple et qui me travaille depuis quelques années déjà.
Il y a un énorme travail de pédagogie pour orienter de manière claire les mentalités autour de la notion d'ACCEPTATION en remplacement définitif de celle de TOLERANCE. Que ce soit dans les sociétés occidentales dites « modernes » comme dans les pays du tiers monde, la notion de « tolérance » qui est très largement défendue fait à mon humble avis aujourd'hui dangereusement preuve d'échec. Il est temps que ce mot soit remplacé de façon durable par un terme moins sectaire et plus fédérateur. La prévention des conflits commence à mon sens par le vocabulaire qu'on enseigne et utilise pour définir ce qui selon nous constitue la paix. Est ce que je souhaite tolérer simplement mon voisin de palier, ou serait-il préférable de l'accepter dans ma demeure? Toute la volonté que l'on peut exprimer de vouloir faire la paix et de se comprendre les uns les autres réside dans les efforts de nuances que l'on apporte aux mots. En tant que français j'accorde une importance toute particulière aux termes que j'utilise car ma langue me permet d'être très précis. Et le mot tolérance a clairement selon moi prouvé son inefficacité.
Quel est selon vous le rôle de l'art et de la culture dans la construction d'une paix et d'une cohésion sociale durables ?
Lorsque la parole atteint ses limites, lorsque l'espoir de dialoguer est fortement affecté, il n'y a rien de tel que le partage de valeurs communes. Tous les peuples du monde aiment la musique, la danse, la peinture car c'est le seul moyen d'expression qui a toujours existé depuis que le monde est monde et qui existera toujours. Nous ne faisons que reproduire à notre façon les couleurs, les sons, les mouvements.
L'art est une manière comme une autre de se prouver les uns les autres qu'au final, nous vivons tous sur cette même planète, dans l'espoir secret de la rendre encore plus belle et le tout dans une harmonie des couleurs, des sons et des mouvements qui nous sied tous. Au départ, nous naissons tous avec ce même mystère de la création humaine qui dépasse complètement nos connaissances. Nous ignorons tout de la réalité de notre existence, et s'il est un point commun qui nous réunisse, il est celui de l'ignorance.
Combien de fois ai je partagé des moments inoubliables avec d'autres artistes dont j'ignorais absolument tout et avec qui la communication « conventionnelle » était quasi impossible pour des raisons de langages, et à chaque fois, l'impression que cela donne est qu'on s'est dit tellement plus de choses que si on s'était limité aux mots !
Qu'apporte le Prix Culture pour la Paix?
Il apporte un crédit fort à la démarche de dialogue que l'art initie parallèlement aux autres démarches qui pour l'instant n'ont malheureusement pas réellement prouvé leur efficacité. L'art sous toutes ses formes, même les plus élémentaires, polémiques, conventionnelles ou « transgressives » est une communion pacifiste qui allie une recherche d'identité nécessaire et indispensable, un amour de la vie incommensurable et une volonté insatiable de communiquer avec celui et celle qu'on ne connaît pas.
C'est d'ailleurs la définition que je donne à la paix. L'essence même de l'art c'est donc la paix. Il n'y a pas de paix s'il n'y a pas chez chacun de nous une vraie recherche de notre identité, un grand amour de la vie, et une volonté forte de vivre avec l'autre. De l'accepter dans notre demeure, de partager sa vie, sa culture et ses gênes, et non juste de le tolérer à nos côtés. Donner un prix pour valoriser ce regard que nous artistes portons sur cette paix là, pas celle des armes ou des finances me semble être une nécessité de plus haut intérêt.